[Depuis et toujours] Enseignement
     
Créer des objets, mais aussi développer des attitudes

La première motivation du projet Design et culture matérielle fut la soif d'apprendre des objets d'appartenance autochtone. Je voulais apprendre pour mieux accomplir mon travail de designer qui, acquis à l'école du modernisme, me semblait vain, enfantin dans sa recherche constante de nouveauté et terriblement prétentieux face à des milliers d'années de pratique de design précédant la révolution industrielle. J'ai tenté de développer des approches, des méthodes et des outils d'interprétation et de transmission des savoirs contenus dans les objets, que je comprends comme étant les catalyseurs de la pensée des Hommes; et d'utiliser ces façons de voir et de faire pour la formation de mes étudiants. L'objectif pédagogique motivant le recours aux pratiques de design des peuples autochtones est d'amener les futurs designers à une ouverture vers l'Autre, à sortir de l'approche extrêmement égocentrique et ethnocentrique du design moderniste, à nourrir une culture universelle du design. À l'université du Québec à Chicoutimi, le corpus de cette expérience comprend trois cours : Introduction aux théories du design, Histoire du design et Design de l'objet. Plusieurs étudiants poursuivent des recherches entreprises lors de leur passage au projet Design et culture matérielle dans le cadre de la maîtrise.

Comprendre la valeur de l'objet en regard du contexte qui l'a vu naître, des rituels qu'il permet, de la façon qu'il sert les Hommes; Comparer à sa propre culture basée sur la consommation; Exprimer l'expérience vécue par le biais ce « frottement », car l'expression est un transmetteur de connaissances complémentaire à la description et à l'explication.  

Des façons de faire (les rituels accomplis par le biais de la fonction) et les valeurs de ce faire pour le peuple producteur (par le biais du symbole), sont intriquées aux objets. Les étudiants participant aux ateliers réussissent à lire ces paramètres et à les intégrer à leur création, ce qui leur permet d'opérer des changements d'attitudes dans leur pratique du design. Cette démarche vise avant tout la compréhension, par l'interprétation/création, d'un système philosophique particulier en regard de la conception des objets. Créer à partir de données autres que celles reliées à sa propre culture permet de véritablement saisir les particularités inhérentes à cette Autre et, par le fait même, de mieux comprendre sa propre réalité.

Mon intérêt, en tant que professeure, ne se situe pas au premier abord au niveau des objets mais bien des attitudes. En première année la tendance est plus marquée pour les aspects visuels, formes stéréotypées et matériaux, mais une évolution rapide s'opère vers d'autres niveaux de sens. Les objets produits témoignent de points de vue critiques, de volonté d'opérer des changements ou de sensibiliser les utilisateurs et d'un véritable respect des pratiques de design et de la culture autochtones. Je constate également que les étudiants apprennent à mettre leurs connaissances au service de l'Autre et à développer une approche moins égocentrique de la création.

Élisabeth Kaine